mardi 10 avril 2007

UNITE ET DIVERSITE DES « SUD »

Le terme de « Sud » (avec majuscule et guillemets) est utilisé depuis les années 1980 pour désigner l’ensemble des pays en voie en développement (PVD) ou pays du Tiers-Monde par opposition au « Nord » (ensemble des pays développés et industrialisés).
On l’emploie depuis la décennie 1990 plus en plus au pluriel (les « Sud ») dans la mesure où les écarts de développement se sont creusés entre les PVD, certains s’approchant du niveau de développement des pays du « Nord », d’autres, confrontés à des difficultés politiques et économiques, régressant.

N.B. On ne dit pas pays de l’hémisphère Nord et pays de l’hémisphère Sud (c’est incorrect !), les références au « Nord » et au « Sud » sont métaphoriques : on les a choisies car la plupart des pays du « Nord » (sauf Australie, Nouvelle-Zélande) se trouvent dans l’hémisphère Nord et la plupart des pays du « Sud » se trouvent au Sud des pays du « Nord »

On tentera de mettre en évidence les caractères du sous-développement, de déterminer de quelle manière on peut le mesurer (en calculant l’IDH notamment) et les causes de ce sous-développement.
On montrera ensuite la grande diversité des « Sud » en reprenant la distinction opérée par le géographe Robert Chapuis : les « 4 mondes du Tiers Monde » (distinguant L’Amérique latine, L’Afrique Noire, Le monde arabo-musulman et l’Asie) pour montrer la diversité des situations
Enfin on utilisera l’exemple du Brésil, Etat-continent où les inégalités régionales sont considérables pour montrer que ces différences de développement n’existent pas seulement à l’échelle mondiale mais également peuvent exister à l’intérieur des Etats.
I.Développement et mesure du développement

A.Une définition du développement
Pour la géographie Sylvie Brunel, le développement est « la capacité d’une société à satisfaire les besoins essentiels de sa population et à permettre à cette dernière d’acquérir un mieux-être nécessaire à son épanouissement »
Quels sont les besoins essentiels ?
Accès à l’eau potable
Accès à une nourriture suffisante en quantité (sinon il y a sous-nutrition) et en qualité (sinon il y a mal-nutrition), l
Logement et vêtements
Garantie de la sécurité (suppose un système étatique stablie)
Accès à l’hygiène pour éviter les épidémies (donc à l’eau).

Qu’est-ce qui permet un mieux-être nécessaire à l’épanouissement ?
Alphabétisation
Accès à la santé : vaccins, antibiotiques, etc…
Accès à l’information d’ordre pratique (par exemple concernant la contraception) et politique.

B.La mesure du développement : l’IDH
Les géographes et responsables du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) ont inventé un indicateur qui permet de mesurer le niveau de développement des Etats : c’est l’IDH (Indicateur de Développement Humain). C’est un nombre qui théoriquement est compris entre 0 et 1.
Il s’obtient en combinant l’espérance de vie, le niveau d’alphabétisation et le revenu par habitant. Il varie entre 0,935 (Canada) et 0,252 (Sierra Leone) ; la moyenne mondiale est à 0,712.
Cet indicateur est beaucoup plus pertinent que le simple PNB/hab qui ne met pas suffisamment en lumière les inégalités sociales dans un Etat.
Ainsi un pays pétrolier du Golfe peut avoir un PNB/hab élevé et en même temps une mortalité infantile importante notamment liée au manque d’éducation des femmes et ainsi être moins développés qu’un pays moins riche mais où les richesses sont plus liées à l’avancée du système éducatif.

C.Les causes du sous-développement
Elles sont multiples et très complexes : difficultés des milieux naturels tropicaux, pesanteurs liées à l’histoire, pesanteurs sociologiques et culturelles, exploitation par les pays développés.
On peut tout d’abord noter que la quasi-totalité des pays en développement se situent dans le monde tropical et que la quasi totalité des pays tropicaux sont des pays en développement. Cela est lié à la difficulté d’exploiter des milieux parfois très insalubres (nombreuses maladies endémiques comme le paludisme car ambiance bioclimatique chaude et humide favorisant le développement des agents infectieux), aux sols souvent pauvres et prenant mal l’engrais (mais pas partout).
On peut ensuite rappeler qu’une très grande partie de ces pays en développement ont été colonisés par les Européens, certains à partir du XVIe siècle (Amérique latine), d’autres au XIXe siècle (Afrique). Leur démographie en a été bouleversée (effondrement démographique de l’Amérique à cause de la conquête, des maladies et mauvais traitements, ponction démographique sur l’Afrique noire à cause de la traite des esclaves jusqu’au XIXe siècle). Leurs structures sociales, politiques et économiques en ont été bouleversées avec la mise en place d’un système d’exploitation coloniale destiné à alimenter la métropole en matières premières (minérales et agricoles).
Un certain nombre de ces sociétés avaient un fonctionnement totalement étranger à celui de la société occidentale (qui a valorisé dès le XVIe siècle le progrès scientifique et technologique, l’accumulation de biens de consommation).
Autant le travail (notamment de la terre) est une valeur morale importante dans les sociétés judéo-chrétiennes (« Tu gagneras ton pains à la sueur de ton front »), autant il n’a aucune valeur dans d’autres sociétés qui ne « travaillent » la terre que pour se nourrir et privilégient les relations interpersonnelles (palabres) et échanges entre groupes (de femmes, de marchandises). Le progrès technologique n’avait aucun sens dans ces sociétés pas plus que l’accumulation des biens de consommation (aujourd’hui un peu plus).
Enfin cette colonisation européenne a eu pour effet de maintenir pendant longtemps ces pays dans un rapport de dépendance économique vis-à-vis de leur métropole dont ils ne se sont émancipés politiquement que tardivement (sauf l’Amérique latine indépendante depuis le XIXe siècle) dans les années 1950 (Asie) ou 1960 (Afrique) (d’où un endettement très fort).

II.La diversité des « Sud »

Le Géographe Robert Chapuis a publié en 1994 un ouvrage intitulé Les quatre mondes du Tiers Monde, qui propose une typologie des niveaux de développement des « Sud ». Il distingue ainsi quatre grandes régions en utilisant des critères à la fois économiques, démographiques, historiques et culturels.
Cette typologie étant pédagogiquement simple et satisfaisante, je propose de l’utiliser, en réfléchissant toutefois sur le cas particulier des ex-pays communistes (notamment la Russie) en cours de transition politique et économique qui ont, dans l’ensemble, fortement régressé depuis une quinzaine d’années. Je pense qu’elle est plus éclairante que celle proposée par la plupart des manuels distinguant   PMA (pays les moins avancés), pays intermédiaires et NPI (nouveaux pays industrialisés)…dans lesquels on groupe certains pays qui ont rejoint le « Nord » (ex. Corée du Sud) et d’autres qui y sont encore (Ex. Mexique).




A.L’Amérique latine : un pied dans le développement

Elle présente l’économie la plus développée des Tiers Monde avec un secteur agricole marginal (en % du PIB et de la main-d’œuvre) mais puissant et compétitif, une industrie qui se développe et un secteur tertiaire en essor.
De ce fait le niveau de vie y est le plus élevé des pays du « Sud » avec une situation sanitaire proche des pays développés, une situation alimentaire globalement correcte et un niveau scolaire voisin de celui des pays développés.
Les normes démographiques se rapprochent des normes occidentales : la natalité a beaucoup diminué ainsi que la mortalité (elle est en fin de transition démographique) mais sa population étant très jeune, la croissance démographique reste forte.
Enfin cette aire apparaît comme une tête de pont de la civilisation occidentale (du fait de sa colonisation précoce et profonde) avec une urbanisation beaucoup plus forte qu’ailleurs dans les « Sud »
Néanmoins on y observe de grandes disparités : Brésil et Mexique globalement en plein essor, Argentine durement touchée par la crise économique et qui a régressé, une Amérique centrale et andine en net retard.

B.L’Asie : un Tiers Monde bien parti

Le niveau de vie y est encore faible mais en rapide progrès avec dans certains pays une alimentation tout juste suffisante. L’état sanitaire reste médiocre mais s’améliore. Le niveau d’instruction est assez bon. La transition démographique est assez avancée (surtout en Chine où elle a été autoritairement accélérée : politique de l’enfant unique dès 1979).
Le secteur agricole reste considérable, peu productif mais en progrès, l’espace est peu industrialisé mais la croissance est très rapide. Le secteur tertiaire est encore déficient.
Les structures d’encadrement sont solides et certains groupes sont très dynamiques (diaspora chinoise par exemple).
Deux Etats-continents, Inde et Chine sont en train d’y émerger.

C.L’Afrique noire : un Tiers Monde « mal parti »

(Cette expression est la reprise du titre d’un célèbre ouvrage de l’agronome français René Dumont de 1962 L’Afrique noire est mal partie)
La fécondité est restée très forte jusqu’à une dizaine d’années, de ce fait la population est la plus jeune du monde (presque 50 % de moins de 15 ans) et la croissance démographique va être encore forte pendant un demi-siècle (c’est une véritable bombe démographique).
La mortalité était en baisse mais le Sida y a fait depuis dix ans des ravages énormes.
C’est la région économique la plus attardée des « Sud » avec un poids record de l’agriculture qui est peu productive et peu exportatrice. L’industrie reste embryonnaire, le secteur tertiaire est déficient.
Le niveau de vie est le plus faible des Tiers Monde avec une sous- nutrition presque généralisée (surtout dans les régions sahéliennes susceptibles d’être victimes de la sécheresse). La scolarisation est en progrès mais reste faible.
Un pays toutefois se détache et tend à devenir une puissance régionale depuis la fin de l’Apartheid : l’Afrique du Sud. D’autres sont dans d’énormes difficultés pour des raisons politiques et économiques (Ex. Soudan)

D.Le monde arabo-musulman : islam et pétrole

Une partie importante de ces pays dispose de ressources pétrolières considérables ce qui a permis une industrialisation. Le niveau de vie est inférieur à l’Amérique latine (avec de grosses disparités)
Globalement l’alimentation est satisfaisante et le niveau sanitaire et scolaire en net progrès (notamment l’alphabétisation des femmes, très en retard, y progresse).
Toutefois la croissance démographique reste très forte (la baisse de la fécondité est récente et la population très jeune).
Cet espace présente une unité culturelle liée à l’islam d’une part et à l’arabe d’autre part (pour la plupart des pays sauf Turquie et Iran).
De grosses disparités existent entre pays pétroliers peu peuplés et très riches (ex. Emirats, Arabie Saoudite) et autres pays (Egypte, Maghreb…)

E.Et les anciens pays communistes ?

L’effondrement du système communiste en URSS et dans les démocraties populaires d’Europe centrale a entraîné une régression économique et sociale très nette. Notamment leur niveau de vie ne se situe par forcément plus haut que celui de certains pays du « Sud ». De plus les indicateurs sanitaires y ont baissé (espérance de vie en baisse, taux de mortalité en hausse). Certaines populations vivent dans des conditions de pauvreté terrible (notamment dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale) Doit-on dès lors classer ces pays dans les pays du « Sud » ? Le cas de la Russie sera étudié ultérieurement (chapitre La Russie un espace en recomposition)
Les Républiques musulmanes d’Asie se situent dans les pays du « Sud » avec comme seul atout leur très haut niveau d’alphabétisation (masculin comme féminin). Par contre les Etats d’Europe centrale qui se sont tournés vers l’Union Européenne sont en phase de rejoindre les pays développés.

III.L’exemple du Brésil : un Etat-continent très contrasté

A.Quelques indicateurs chiffrés et remarques introductives

Le Brésil est le plus grand des Etats d’Amérique latine : 8,5 Millions de km² (= presque aussi grand que les Etats-Unis), avec une population de plus de 170 millions d’habitants (5e rang mondial).
C’est une grande puissance agricole exportatrice (1er sucre, 1er agrumes, 1er café, 2e soja) et un pays qui a connu une industrialisation rapide. L’urbanisation y est forte et la croissance démographique rapide.
Le Brésil se situe en très grande partie dans l’hémisphère sud : l’équateur passe environ au niveau de l’embouchure de l’Amazone (ce qui explique que l’Amazonie soit une immense forêt dense aux sols médiocres et aux précipitations presque constantes). Plus au sud on trouve un milieu tropical avec une longue saison sèche (et des risques de sécheresse dans le Nordeste). Enfin le tropique du Capricorne passe juste au nord de Rio et l’extrême-sud bénéficie donc d’un climat tempéré.

B.Une histoire de la mise en valeur du territoire complexe

L’histoire économique très complexe du Brésil explique en grande partie les inégalités régionales de développement d’aujourd’hui
Le Brésil a été colonisé dès le début du XVIe siècle par les Portugais qui ont développé la côte nord-est (région du Nordeste avec Salvador de Bahia comme ville principale) en y créant de grandes plantations de canne à sucre avec une main-d’œuvre d’esclaves noirs venus d’Afrique. Les autres régions ont été plus tardivement mises en valeur avec une succession de cycles économiques.

Au XIXe siècle c’est successivement la région minière du Minas Gerais (autour de Belo Horizonte) et de la grande ville capitaliste de Rio puis l’arrière-pays de Sao Paulo où se développent de petites exploitations de café dirigées par des colons venus d’Europe (notamment allemands, italiens). Vers la fin du XIXe c’est la mise en valeur du sud tempéré (région de Porto Allegre), toujours avec une population venue d’Europe.
La mise en valeur de l’immense forêt amazonienne est beaucoup plus tardive : « boom » éphémère de l’hévéa au début XXe qui voit le développement de Manaus, volonté politique de développement de l’intérieur du pays dans les années 1960 (création ex-nihilo de la nouvelle capitale Brasilia en 1964, création de routes transamazoniennes, colonisation agricole). L’objectif est notamment de réduire la pauvreté et les inégalités sociales dans le Nordeste. Cet objectif n’a pu être réalisé et on a assisté à une déforestation massive de l’Amazonie et la constitution de grands domaines capitalistes d’élevage (et non, comme c’était prévu, une colonisation agricole de petits paysans autrefois ouvriers agricoles sans terre).

C.Les résultats : une mise en valeur très inégale

Les résultats de ces cycles économiques sont l’existence de profondes inégalités de développement entre régions brésiliennes d’une part et une forte concentration de la populations dans les régions littorales. On peut distinguer trois types de régions :
Le Sud (triangle Rio-Sao Paulo-Belo Horizonte) et le Sudeste (région de Porto Allegre) constituent le cœur économique du pays avec la capitale économique (Sao Paulo qui est une mégapole d’environ 18 millions d’habitants) et d’autres grandes agglomérations puissantes (par leurs activités industrielles et surtout tertiaires) : Rio, Porto-Allegre, Belo Horizonte. L’agriculture y est également prospère et exportatrice (notamment café).
Le Centre Ouest (où se trouve Brasilia) et l’Amazonie sont des espaces sous-peuplés qui ont connu une impulsion depuis une trentaine d’années et un certain développement agricole.
Enfin le Sudeste demeure une région sous-développée avec des problèmes graves de sous-nutrition et de malnutrition, de pauvreté et donc une espérance de vie beaucoup plus faible qu’ailleurs. Les structures sociales y demeurent très inégalitaires. Une partie de la population a tenté de fuir cette misère en s’entassant dans les « favelas » (bidonvilles) des grandes villes.

Ainsi l’exemple brésilien tend à montrer que dans les inégalités de développement n’existent pas seulement entre pays industrialisés et pays du « Sud » mais sont également souvent extrêmement accentuées dans de nombreux pays du « Sud » où, notamment en ville, la richesse extrême côtoie une horrible misère.

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